Lacoste et le rap

Lacoste et le rap

Lacoste et la banlieue, c’est une histoire de sport, d’appropriation, mais également de hip-hop. Le crocodile est sans aucun doute le point de départ d’un snobisme venu de l’autre côté du périph’, un trophée exhibé par des gars qui sont aujourd’hui désignés comme des influenceurs de première catégorie. Bien avant le titre Grand Paris de Médine, avec son si juste « la banlieue influence Paname, Paname influence le monde », c’était au tour du groupe Arsenik de poser les bases d’un rayonnement vestimentaire venu des quartiers dits populaires. Aujourd’hui, Moha La Squale reprend le flambeau, serrant même la patte du croco.

 

Une marque bourgeoise, vraiment ?

Créée en 1926, la marque a su séduire une frange de la population et pas n’importe laquelle. Populaire, Lacoste l’est assurément, mais surtout dans certains milieux. Appartenant à la bourgeoisie, l’acheteur du polo des années 30 se permet un joyeux twist entre le T-shirt (bien trop vulgaire) et la chemise (pas franchement adaptée à la pratique du tennis). Le génie de l’enseigne est de proposer un produit résolument dans l’air du temps, à l’heure où les innovations technologiques prennent le dessus dans la mode (le corset abandonné par les femmes, etc). Le best-seller pèse seulement 230 grammes et est composé de tissus modernes, parfaits pour transpirer sans tremper sa tunique.

 

      

                                              René Lacoste

Bien avant tout le monde, l’entreprise a d’ailleurs compris l’intérêt du logo dans un monde en pleine mutation. Dès 1926, le croco apparaît comme un véritable blason sur les fringues de René Lacoste. Le Français, numéro un mondial à l’époque, aurait été surnommé ainsi par des journalistes américains après un pari. Une valise en crocodile lui avait été promise par le capitaine de l’équipe de France de Coupe Davis s’il parvenait à gagner une partie cruciale pour sa patrie.

Dans les eighties, la base est solide pour une entreprise qui lorgne vers d’autres secteurs sans jamais se casser la gueule. On voit le reptile trimbaler sa queue sur des habits de golfeurs, des bouteilles de parfum et même des peignoirs. Portée par un retour en grâce du tennis, sans doute l’un des sports les plus suivis du moment, la marque étale son influence chez une clientèle aisée, mais pas seulement… Car tout comme ses consoeurs Ralph Lauren, Fred Perry et Tommy Hilfiger, elle devient le sponsor d’une nouvelle génération de garnements. Comme les footeux, les tennismen font la une, tels des bad boys bien décidés à être plus stylés que leurs aînés.

          Quand Arsenik dompte le crocodile

Ce n’est pas une première dans l’histoire de la mode, plusieurs labels sont devenus des emblèmes générationnels loin de leurs bases. De quoi redéfinir une aristocratie vestimentaire en brouillant les pistes. Ainsi, au Royaume-Uni les mods puis les skinheads (mouvements venus des couches populaires) se sont entichés des lauriers de Fred Perry, véritable symbole de puissance (lui aussi tennisman, bien que venant de la classe ouvrière). Du côté des Etats-Unis, Ralph Lauren, marque prisée de la bourgeoisie s’est fait aspirer par les Lo-Life, gars du hood adorateurs exclusifs de la marque au joueur de polo. Même sentence du côté de Tommy Hilfiger, emblème du hip-hop des nineties.

 

       

                                                     Arsenik

Dans l’hexagone, ce sont deux frères qui s’accrochent à une marque bien de chez eux : Lacoste. Loin de faire dans le copier/coller en arborant les mêmes griffes que les rappeurs USA, Lino et Calbo font les choses en famille. Du côté de Villiers-le-Bel, c’est le croco qui fait figure d’emblème. Arsenik fait dans le full. Polos, bérets, chaussettes… Tout est bon pour marquer son appartenance, sa différence.

L’uniforme s’exporte dans l’hexagone et avec, Arsenik impose un style à la française qui fait la différence. Le survêtement se fait de plus en plus présent, jamais démodé, toujours dans le ton et dans toutes les couleurs. Malgré cela, Lacoste verrouille sa communication, rien ne filtre concernant le hip-hop ou les acheteurs qui viennent de l’autre côté du périphérique. Au mitan des années 90, elle est encore cette femme à courtiser, mais qui ne vous accorde qu’un clin d’oeil. Le crocodile n’est pas une proie facile, loin de là. Véritables mordus du reptile, Calbo et Lino connaissent une fin de non-recevoir, peut-être de la même manière que Roméo Elvis de nos jours. Ici, pas de partenariat comme chez RUN DMC et adidas, simplement des accros qui élèvent l’institution au rang de marque culte.

Le changement, c’est maintenant !

Début mai, Felipe Oliveira Baptista annonçait son départ de Lacoste. Le Portugais, directeur artistique de la marque depuis 2010 a été le principal artisan d’un rajeunissement bienvenu. Un lifting qui a filé de nouvelles écailles à un animal qui peut désormais se permettre de montrer les dents. A son actif ? Des défilés à nouveau suivis par des foules de journalistes, un virage vers des matières techniques et un retour sur les origines sportives de la marque. Rien de mieux pour voir les chiffres grimper. L’honneur est saint et sauf, après huit ans à bord, il a sauvegardé une élégance toute frenchie et s’est même permis quelques écarts…

       

Comme nous l’explique Marine Oudinot, Brand Manager pour Warner Music France, Lacoste a ainsi « commencé à travailler avec des artistes, mais le plus souvent issus de l’électro ou du pop-rock ». Pour le rap, on attendra le bon moment, l’instant T. Si Phillip Plein, Givenchy ou autres, parviennent à fricoter avec des rappeurs, Lacrim ou Georgio pour ne pas les citer, le crocodile peine encore à se lancer complètement à l’assaut de la rue. Le problème mathématique de Lacoste est donc une équation à une inconnue, mais sera bientôt résolu. Felipe Oliveira est passé par là, assumant toutes les influences de l’entité, même les plus urbaines. Il ne manque alors qu’un facteur X pour définitivement faire pencher la balance comme le souligne notre interlocutrice : « Lacoste voulait attendre le bon moment et trouver un artiste en adéquation avec ses valeurs ». Coup de bol, il se nomme Moha La Squale et se place comme la révélation rap de l’année. L’interprète du titre René Croco est invité au défilé de la marque lors de la fashion week, mais pas seulement…

« Ce qui a marqué Lacoste, c’est la connaissance de l’histoire de la marque qu’avait Moha. Il n’était pas simplement intéressé par l’habit, le style, mais aussi par l’histoire. Il s’est identifié au personnage de René Lacoste, a fait des parallèles entre son envie de réussir et la sienne. C’était un premier step » rappelle Marine Oudinot. Dès lors, une relation de confiance naît entre le rappeur et la marque, comme une évidence. Une compréhension « hyper organique pour une collaboration pertinente ». Trois tenues de scènes sont conçues en partenariat avec le rappeur et classent encore un peu plus le croco comme l’emblème de la rue, après avoir été celui des courts de tennis. Si la balle jaune rebondit, l’histoire de la mode aussi. Comme pourrait le rapper La Squale, « mieux vaut sale que jamais ».